Le Collectif

Lettre d'excuses du Collectif des femmes assassinées, mais pas rancunières

 

Notre collectif a été très désagréablement surpris de la présence d’une association aussi peu féministe qu’Act-Up à la manifestation du 8 mars 2005, journée internationale des luttes des femmes, et ce d’autant plus que ce groupe fermait le cortège en arborant une banderole à notre encontre : "Séropositives. Ni victimes, ni coupables".

"Encore un mauvais coup de ces machos act-upiens ! Encore cette mauvaise foi machiste qui voudrait nous culpabiliser de ne pas être passives, de ne pas nous laisser piétiner !", avions-nous pensé.

En effet, par cette position, les militants d’Act-Up nous nient le droit de faire reconnaître que notre vie n’est pas quantité négligeable et prétendent prôner l’égale responsabilité des deux partenaires sexuels lors de la transmission du VIH.

Que font-ils de la domination masculine ? Que font-ils de la confiance qui s’instaure entre deux personnes au fil des années ? Que font-ils des différences d’âges, d’expérience, de situations sociales,.. qui sont autant d’ascendants potentiels sur l’autre ? Que font-ils des cas de viol ?

Cependant, renseignements pris, nous avons constaté que le Mouvement Français pour le Planning Familial soutenait les mêmes propos. Nous avons donc pris la peine de réfléchir deux secondes.

Si le MFPF, une association féministe qui œuvre sur le terrain pour les droits des femmes depuis presque un demi-siècle, prenait une telle position, il nous fallait en effet reconsidérer la situation.

Nous étions-nous laissées emporter par une colère injustifiée, par ce processus de victimisation si propre aux femmes ?

Rejoignions-nous le cortège interminable de ces femmes victimisantes qui refusent de reconnaître leur propre responsabilité dans leur viol – même quand elles sortent après le couvre-feu, même quand elles ont laissé entrer ce voisin qu’elles connaissaient à peine chez elles, même quand elles osent s’approprier l’espace public, même quand elles refusent un rapport sexuel à leur mari ?

De ces femmes victimisantes qui n’assument pas la responsabilité de leur harcèlement sexuel – même lorsqu’elles sont brillantes, même lorsqu’elles sont séduisantes, même lorsqu’elles prennent le risquent d’avoir une vie professionnelle ?

De ces femmes victimisantes qui refusent de partager la responsabilité des violences que leur conjoint exercent contre elles – même quand elles leur tiennent tête, même quand elles ne leur obéissent pas au doigt et à l’œil, même quand elles font montre d’indépendance ?

De ces femmes victimisantes qui récriminent pour tout et pour rien : pour un viol ou pour un licenciement abusif, pour une main aux fesses ou pour une insulte, au lieu d’être ce qu’on leur demande : silencieuses et soumises ?

Que propose donc le MFPF ?

Toujours fidèle à son rôle de mouvement d’éducation populaire, cette association propose essentiellement d’agir sur le champ de la prévention, mais en développant une idée originale : « la prévention ne peut fonctionner avec la contrainte, la répression ».

Nous ne doutons plus que le MFPF militera bientôt pour la dépénalisation du viol et de toutes les autres agressions exercées contre les femmes.

Puisqu’il n’y a ni coupable, ni victime, mais uniquement un système d’oppression à déconstruire. Puisqu’il n’y a de responsabilité que collective, et non individuelle. Puisqu’il nous suffit d’attendre patiemment que nos oppresseurs et nos agresseurs acceptent de ne plus l’être, pourquoi les réprimer ? Pourquoi vouloir essayer de les arrêter et préserver leurs futures victimes ? Pourquoi tenter de faire respecter nos vies qui n’ont que si peu d’importance face aux progrès dont les hommes sont potentiellement capables ?

Même s’il faut attendre quelques dizaines de milliers d’années, le jeu en vaut la chandelle. Nous ne regrettons qu’une chose : être nées trop tôt ! Mais de cela, seules nos mères sont fautives, et non pas ces hommes qui nous ont entraînées dans leur mort.

Messieurs d’Act-Up, pour avoir d’abord pensé que vos positions n’étaient inspirées que par votre machisme, nous nous excusons auprès de vous.

Mesdames du MFPF, nous vous remercions de nous avoir ouvert les yeux et le cœur.

Le Collectif des femmes assassinées, mais pas rancunières

Avec le soutien :

Le collectif des femmes indiennes brûlées vives sur le bûcher de leur défunt mari, heureuses d’avoir fini en beauté ;

Le collectif des femmes suicidées par leur mari avant que ceux-ci ne se donnent la mort, reconnaissantes de ne pas avoir été consultées sur le sujet.

 

Paris, le 19 avril 2005

Contact : collectif at no-log.org